LA MAISON DU RETOUR by Kauffmann Jean-Paul & Kauffmann Jean-Paul

LA MAISON DU RETOUR by Kauffmann Jean-Paul & Kauffmann Jean-Paul

Auteur:Kauffmann Jean-Paul & Kauffmann Jean-Paul
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: NiL


19.

CET APRÈS-MIDI, alors que je lisais sous mon platane, une voix m’a fait sursauter. Je me suis retourné : la jeune sœur du Voisin. Elle tient le guidon de son vélo du bout des doigts avec élégance. Elle est drapée d’un paréo noué sur un vieux short qui part en haillons et flotte sur ses cuisses musclées. Plus du tout le genre serre-tête versaillais et collier de perles : une sorte de vahiné sylvicole.

— Comment va l’anachorète des Tilleuls ?

— Mais c’est tout le contraire. Je mène la bonne vie ici : lecture, promenade et une bonne bouteille de bordeaux le soir.

— Une bouteille à vous tout seul, pouffe-t-elle, c’est beaucoup, vous ne trouvez pas ?

— J’en laisse un peu, un tout petit peu. Rien, quand c’est du Palmer. Une bouteille comme celle de l’autre soir est hors du commun. Votre frère et votre belle-sœur nous ont gâtés.

Je lui fais faire le tour de l’airial mais elle veut voir la maison. Elle identifie savamment le moindre détail du dallage, des plafonds et des éléments décoratifs comme si elle connaissait déjà l’intérieur. « Une demeure typique de notables de la fin du XIXe siècle : un fond landais évident avec l’ambition d’imiter la maison bordelaise. Voyons le premier étage. »

— C’est un chantier. Ils ne veulent pas qu’on les embête.

— Qui ça « ils » ? Qui cachez-vous en haut ?

— Je ne cache personne : ce sont des ouvriers de l’entreprise Calasso. Ils travaillent très bien, mais ils n’ont pas envie d’être dérangés.

— Comment ça, « dérangés » ! Vous êtes chez vous, non ? J’en conclus que vous ne tenez pas à ce que je visite cette partie-là.

Quel sans-gêne ! Elle devrait savoir qu’on ne laisse pas si facilement les gens s’introduire dans une maison, fût-elle en travaux.

— C’est un vrai bordel ! dis-je.

— Vous ne croyez pas si bien dire.

— Ah, vous êtes au courant ?

— Ici tout se sait.

— « Ici tout se sait » ! Voilà bien une phrase typique de la province. Ce n’est pas un de ses aspects les plus plaisants.

— Il ne fallait pas choisir la province, dit-elle d’un ton très amène. Cela a aussi de bons côtés : les gens connaissent la solitude de l’un ou la maladie de l’autre. Tout un réseau de solidarité souvent discret se manifeste. Cette phrase qui vous agace tant crée aussi du lien social, comme on dit aujourd’hui. Évidemment, tout le monde ici sait qui vous êtes et ce que vous faites.

— Si je comprends bien, je suis surveillé.

— Non pas surveillé mais étudié, considéré. Dans n’importe quel village de France, on agit ainsi. Ce n’est pas seulement de la curiosité. C’est aussi une forme de civilité. Il est normal de marquer de l’intérêt à l’égard du nouveau venu. En choisissant de venir vivre chez nous, vous nous manifestez de l’attention. L’indifférence serait un signe d’impolitesse. Nous vous devons des égards. Cela n’empêche pas qu’on veut savoir à qui on a affaire. On trouve ainsi que vous n’êtes pas très liant.



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